#20 FUERA DEL ARMARIO

Wesh les petites boules de poussière au fond du placard,

Je suis tombé récemment sur un article de Archer Magazine qui a résonné énormément avec mon expérience de mec cis gay latinX. Je tenais à partager avec vous mes nouvelles réflexions sur le sujet.

L’article en question traite de la notion de « Coming-Out », et fait référence à une étude menée par Adrian Villicana et publiée en 2016, dans laquelle on apprend que le fait de faire son coming-out de façon verbale, autrement dit d’être en mesure de dire ouvertement à son entourage proche ou moins proche « je suis gay », n’a pas les mêmes conséquences positives que l’on peut espérer, en fonction du background culturel/ethnique de chacun. En l’occurence, l’étude a été réalisée auprès d’hommes latinX et des hommes blancs, pour tenter d’évaluer l’impact du coming-out verbal, sur le bien-être subjectif de la personne (sa capacité en gros à dire si sa vie lui paraît satisfaisante).

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Or, l’étude a révélé deux choses, que d’un côté les gays latinX, à l’inverse des mecs blancs, ne bénéficiaient pas spécialement d’une amélioration de leur bien-être après avoir fait un coming-out verbal, et que d’un autre côté ces derniers préféraient au contraire des formes de déclaration plus discrètes / implicites.

Ces informations m’ont un peu étonné, puis, en prenant du recul et en réfléchissant à mon propre parcours, je me suis rendu compte que je me trouvais exactement dans le cas de figure de la majorité des latinX qui ont répondu à cette enquête… A savoir que je n’ai jamais fait de coming-out verbal auprès de ma famille Vénézuélienne (parents, cousines, frangins, encore moins grandes mères), mais cela n’empêche pas que beaucoup de gens le savent sans qu’il n’y ait forcément des échanges sur le sujet… et je ne m’en sens pas malheureux pour autant, au contraire c’est une situation qui me convient parfaitement.

Baby gay Jesus (Britney) sait à quel point je suis un grand défenseur du coming-out et des bien faits sur le développement personnel…J’avais même fait un article dessus sur ce blog.

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Mais après mes dernières lectures, je suis obligé de m’interroger sur ce phénomène: ne suis je pas moi même assujetti à la narrative du coming-out blanche qui nous impose, bon gré mal gré, un certain mode de fonctionnement voire une sorte d’identité gay universelle?

Comment se fait il par ailleurs, que dans un monde où le « Coming-out » est supposé être une libération voire dans certains cas un rite obligatoire pour avoir accès à une vie plus authentique, ce dernier ne soit pas perçu de la même façon par tout le monde? Encore pire, à qui bénéficie vraiment le coming-out?

Enfin, quelles sont les alternatives s’il y en a?

I. La narrative très blanche du Coming Out

Alors déjà qu’est ce que le coming-out en vrai? traditionnellement, ce dernier fait référence à cette déclaration verbale à partir de laquelle le sujet décide d’affirmer son identité. « Je suis gay » ou « je suis lesbienne » ou « je suis gender fluid », etc etc, sont des exemples de ce qu’on considère comme étant le fameux coming-out. Le moment où on décide de sortir de l’armoire pour se dévoiler tel qu’on est au reste de la société.

La question que pose l’article d’Archer magazine c’est…. vers quel monde précisément se libre-t-on lorsqu’on fait son coming-out? Dans l’idéal, faire son coming-out devrait nous permettre d’avoir accès à des espaces bienveillants où toutes les identités sont reconnues, valides, où il n’y a pas des rapports de force et où on peut s’exprimer librement… un monde plein de rainbow flags et de licornes…

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Or, si vous suivez un peu ce que j’écris dans ce blog, vous savez pertinemment que dans la réalité ça ne se passe pas tout à fait comme ça… les agressions racistes, sexistes, transphobes et j’en passe, sont monnaie courante au sein de cette communauté… au point où certains pourraient se demander à quoi bon ? A quoi ça sert de faire son coming-out lorsqu’on ne fait pas partie ou qu’on ne se reconnaît pas dans un groupe dominant?

Ce qu’il faut avoir en tête par ailleurs c’est que les données récoltées par les chercheurs qui mettent en évidence les bien faits du coming-out, comme le rappelle Villanca dans son étude, ont été obtenues à partir d’enquêtes réalisées quasi exclusivement sur des hommes blancs… comment prétendre alors que ces données puissent être reproduites et/ou applicables à d’autres groupes culturels et ethniques?

Et il est vrai que le concept du coming-out, tel qu’il est représenté massivement, reste majoritairement blanc et nous dicte d’une certaine façon un mode d’emploi qui devrait s’appliquer à tous, ou qui devrait au moins avoir les mêmes effets positifs. Il suffit de faire un tour sur youtube et de taper  « How to do a coming-out » et voilà ce que vous obtenez:

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Coucou c’est nous les gays de youtube
Vous trouvez rien de choquant? OK c’est un exemple et il me semble que dans les propositions il doit avoir une vidéo ou des POC (people of color) sont mises en avant… mais tout de même !!

La narrative du coming-out, qui existe en réalité pour défier un modèle hétéronormé cis genre, ne prend pas en compte malheureusement la question de la race, de la culture, de la classe, etc. C’est en cela qu’on dit qu’elle est très blanche.

En général elle nous dicte un modèle à suivre qui est le suivant:

  • Choisir le bon moment (car oui il est important de se sentir prêt à le faire, mais à aucun moment on ne vous laisse le choix de le faire ou pas, il faut le faire)
  • Choisir quelqu’un de confiance pour commencer (n’allez pas raconter ça à votre boulangère sauf si elle vous connaît très très très bien)
  • Bien le planifier (car ouais on sait tous que ça se passe exactement comme on le prévoit dans sa tête, c’est valable pour toutes les décisions dans votre vie)
  • Le dire (étape cruciale, il faut que le coming out soit verbal, sinon ça marche pas)

En général la directive finit toujours par dire « il n’y a rien de plus courageux et de sain que de faire son coming out, et ne vous inquiétez pas si ça prend du temps mais on finit toujours par l’accepter et vous n’êtes pas tout seul ».

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Faire son coming-out lorsqu’on fait déjà partie d’une minorité ethnique, nous force à dévoiler notre identité sexuelle et/ou de genre (minoritaire elle aussi), dans un monde dominé entièrement par les blancs, et qui ne tient pas (ou peu) compte de nos narrations personnelles et culturelles. Cela nous met dans une position doublement inconfortable puisqu’on se retrouve avec une double peur de rejet: par sa communauté ethnique et par la communauté LGBT dominante blanche. Ainsi, pour certaines personnes, ne pas faire de coming-out comme on l’entend, serait une opportunité de connecter avec son identité sexuelle/genre mais en prenant en compte également son identité ethnique. Je connais d’ailleurs pas mal de latinX plus âgés qui vivent très bien leur vie en cachant aux autres leur sexualité. Mais qui doivent tout de même vivre avec la pression qui les pousse à se dévoiler.

L’article d’Archer Magazine ainsi que l’étude de Villanca, montre que les mecs latinX, préfèrent dans la plupart des cas faire des coming-out plus implicites. Cela va de ramener son mec à la maison familiale pour le week-end en disant qu’il s’agit d’un simple pote (alors que vous dormez dans le même lit à poil), à vivre avec son mec pendant des années dans le même apt en affirmant qu’il s’agit d’un simple coloc (alors que vous dormez dans le même lit à poil). Le coming-out se fait de façon tacite et il n’y a pas de discussion qui s’engage derrière. Et pour être passé par ces cas de figure là, c’est très bien comme ça.

Agir de la sorte permet surtout de garder un lien fort avec son background culturel et ethnique, la peur du rejet dans les communautés latinX est si forte que certaines personnes préfèrent ne pas faire l’étalage de leur vie sexuelle dans leurs familles ou leurs amis d’enfance (c’est mon cas), au risque de se sentir dérobé d’une partie de soi. Villanca indique dans son étude que pour une personne blanche, le conflit identitaire ne se fait pas dans ce sens car ils/elles associent plus directement et plus facilement leur sexualité et leur genre à leur identité globale, c’est à dire qu’il n’y a pas de conflit entre ça et leur culture. Pour un latinX, ou une minorité ethnique, c’est plus compliqué car on n’a pas spécialement de modèle ni de représentation de l’homosexualité ou des identités de genre qui ne soient pas blanches, sauf exceptions.

II. Identité gay universelle vs identité ethnique

Des chercheurs comme Deborah Chirrey ou Esther Saxey, s’accordent à dire que le coming-out est de plus un acte politique, qui vise à créer une identité gay. Mais quelle identité au juste est-on en train de créer? comme rappelé dans le dernier article sur ce blog, le mouvement queer par exemple, qui vise à déconstruire le système hétéronormé et qui ne se reconnaît pas dans l’homonormativité, est né car dès les années 70-80, les mouvements LGBT et féministes étaient majoritairement dominés et représentés par des blancs et des blanches de classe moyenne…

Et encore une fois, faites le test et tapez gay sur votre barre de recherche images google…

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coucou c’est nous les gays de google
Il y a un noir et éventuellement deux types latino.

C’est ce problème de représentation, qui pousse certaines personnes à considérer que si le coming-out est en soi un acte politique, ne pas le faire constitue également une sorte de protestation contre cette identité universelle imposée très homonormative et l’impérialisme blanc.

Ainsi, certains membres du Parti des Indigènes de la République par exemple vont même jusqu’à dire que si le coming-out est aussi encouragé par le groupe blanc dominant, au point d’en féliciter les personnes qui le font (du moins de la façon dont il est convenu qu’il doit se faire), c’est bien sûr pour des questions racistes mais également homophobes. L’extrait du livre Les Blancs, les Juifs, et nous par Houria Bouteldja, la porte parole du Parti des Indigènes de la République ci dessous illustre bien ce propos:

«Il faut arrêter de se raconter des histoires. Les Blancs, lorsqu’ils se réjouissent du coming out du mâle indigène, c’est à la fois par homophobie et par racisme. Comme chacun sait, « la tarlouze » n’est pas tout à fait « un homme », ainsi, l’Arabe qui perd sa puissance virile n’est plus un homme. Et ça c’est bien. C’est même vachement bien. Et puis, c’est tellement rassurant. Il va sans dire que le message sera capté cinq sur cinq de l’autre côté du périphérique aussi, on ne s’étonnera pas de la compétition viriliste et homophobe qui s’installera dans le camp d’en face et qui prendra un plaisir vicieux à surjouer une sexualité fabriquée par le regard colonial dans cette guerre sournoise que se livrent des forces antagonistes et irréductibles.»

Houria Bouteldja écrivait également en 2013 au sujet du mariage gay:

« L’enjeu est donc bien de convaincre des non-Blancs qu’ils doivent s’identifier comme homosexuels. C’est un choix qui s’inscrit dans le militantisme homosexuel hégémonique : c’est le choix entre la fierté et la honte, le placard ou le coming out. 

S’identifier comme homosexuels sous entend ici faire son coming-out. Nous serions poussés par le mouvement blanc à s’identifier à défaut de se voir condamnés à vivre dans le déni la honte et être tout simplement malheureux… mais s’agit-il vraiment des seuls choix de vie? Et ne pas le faire pour lutter contre l’impérialisme blanc comme le laisse entendre le PIR est ce vraiment l’alternative à suivre?

L’analyse de Bouteldja est tout à fait discutable, mais il n’empêche que cela fait réfléchir aux mécanismes qui sont mis en jeu autour de la question du coming-out par la classe dominante. Par exemple, comment trouver ça normal que dans un pays blanc on parle plus librement de coming-out alors que dans la plupart de pays colonisés le terme n’existe même pas. Comment justifier que dans un pays comme la France, on considère que des pays arabes ou latino soient extrêmement homophobes, si ce n’est pour renforcer une mécanique raciste en pointant du doigt des torts qu’ils ont eux mêmes créés en colonisant les gens ET leurs sexualités.  Comment trouver ça cohérent qu’un blanc puisse décider de ce qui est bien pour toi alors qu’il ne sait rien sur ta culture tes luttes tes intérêts… en gros, qu’il vienne te sauver de tes origines désignées machistes homophobes et j’en passe.

III. Alternatives

Pour moi il est évident que m’assumer en tant que gay queer au sein de mes potes que je considère comme ma deuxième très grande famille, m’a permis d’évoluer dans un espace safe, de découvrir ma sexualité en me sentant libre, et d’effacer pas mal de peurs et d’inquiétudes que j’ai pu avoir en étant jeune. Mais assumer ma sexualité ne s’est pas fait selon le schéma classique qu’on peut avoir sur Youtube. Autour de moi, beaucoup de gens l’ont appris par des formes très variées mais seules quelques personnes que je peux compter sur les doigts d’une main m’ont entendu affirmer « je suis gay » à l’oral, et cela ne s’est jamais passé au cours d’une émouvante discussion pleine de larmes comme on peut voir dans les médias.

My point is, qu’il est tout à fait possible d’avoir une vie épanouie sans forcément adhérer au modèle du coming-out qui est largement représenté. En tant que latinX notamment, je tiens énormément à respecter mes racines, mes traditions, ma bouffe, mes grand mères, et toutes ces choses qui m’ont inspiré et formé en grandissant, et ma sexualité est quelque chose qui n’a pas spécialement à se mêler de tout ça. Au final c’est une question très personnelle qui n’a pas besoin d’être dictée par des modèles établis.

Cependant, il est tout de même intéressant je trouve de questionner la narrative blanche du coming-out dans laquelle on peut ne pas tous se reconnaître, et analyser les mécanismes qui sont mis en jeu. Evidemment, il me paraît tout aussi pertinent de questionner des directives anti-racistes comme celle du PIR qui dans le même temps visent à dicter un autre mode de fonctionnement.

Le combat pour moi ne se situe pas dans le fait de crier « je suis gay » sur tous les toits comme on peut l’imaginer, mais bien de démanteler ce système hétéronormé et post-colonialiste qui nous bouffe tous en tant qu’être humains, hétéro ou pd confondus. Et ça passe bien évidemment par donner plus de visibilité aux LGBT+ de couleur, qui font partie et qui ont lancé le mouvement pour l’égalité, et admettre que le modèle dominant, s’il est bien, n’est pas le seul et unique modèle acceptable. Nous avons tous aimé les coming out d’Ellen, de Neil Patrick Junior, de Ellen Page et j’en passe… mais on a aussi envie de voir d’autres histoires de personnes de couleur et qui ne collent pas spécialement à ces déclarations qu’on voit dans les séries et dans les films… on a envie de voir plus de gens authentiques vivre leurs vérités.

On finira cet article par une photo de Ricky Martin car c’est le seul pd latinX que je connais… vu voyez à quel point c’est problématique??

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Et aussi par une photo d’arepas parce que fuck thats delicious:

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Liens utiles:

Verbal Disclosure Of Gay Identity May Improve Well-Being For White Men, But What About Latino Men?

Research: Saying ‘I’m gay’ doesn’t boost well-being equally for gay men of every ethnicity

Coming out of a white queer world – Dismantling the myth of the global LGBTQI community

«Les indigènes de la république sont nos amiEs», par Thierry Schaffauser

Universalisme gay, homoracialisme et « mariage pour tous »

The Coming-Out Speech Act: It’s OK, Jodie, Saying ‘I’m Gay’ Is Optional

 

 

 

3 commentaires sur « #20 FUERA DEL ARMARIO »

  1. Article très intéressant comme d’habitude. J’aurais aimé que tu soulèves aussi le fait que les minorités ethniques ouvertement gays sont malheureusement plus fréquemment agréssées et ce au sein même de leurs communautés, ce qui explique également le rejet du coming out.

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    1. Yes absolument mais j’avais peur que ce soit repris par certaines personnes qui s’en serviraient pour attaquer ces mêmes minorités sous prétexte qu’elles sont beaucoup plus homophobes que les occidentaux. Mais ça reste un fait !

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