Wesh les babies,

Avant de commencer ce premier article de 2019 je souhaiterais féliciter toutes celles et ceux parmi vous qui ont réussi à survire à 2018, et qui continuent à lutter quotidiennement pour un avenir incertain. Je vous souhaite de mener toutes vos luttes avec succès pour 2019, du bonheur évidemment (peu importe comment vous le définissez) et du temps pour vous et de bonnes énergies.

J’en profite également pour vous dire merci d’avoir lu, partagé et discuté sur les articles de ce blog en 2018. Merci aussi à celles et ceux qui ont énormément ragé car vous êtes mon inspiration après tout.

Cela étant dit passons aux choses sérieuses. On est à 6 jours seulement de 2019 et je suis déjà ultra triggered par les mecs sur Grindr. Fallait que je me défoule donc nous voilà. Spoiler alert, on va encore parler de race.

Pour commencer laissez moi vous raconter une petite anecdote, puisque c’est mon blog et je fais ce que je veux.

Peu avant la nouvelle année je me promenais dans la capitale des rillettes avec mon cher et tendre, quand tout d’un coup, nous sommes tombés sur le profil Grindr d’une célébrité locale.

Bon… nous ne sommes pas certains que c’était le vrai Steevy Boulay, dont on se souvient évidemment pour sa prestation dans le Loft d’M6, et qu’on n’oublie pas aujourd’hui par sa contribution à la night life de folie du Mans et son soutien à Sarkozy en 2007. Traitre.

Anyways, en voyant la photo du joli, néanmoins très problématique Steevy, je me mets à raconter à mon mec, qu’il est arrivé très souvent par le passé qu’on me prenne pour Steevy Boulay (et là je vous vois pour ceux qui me connaissent IRL chercher les ressemblances). Ceci de la part d’inconnus mais également de gens qui me connaissaient. Et il était archi surpris façon » putain mais tu déconnes » comme dirait Aya Nakamura.

Et moi: « si si je te jure, de toutes façons pour vous les blancs un corps marron c’est un corps marron on est tous les mêmes« . Lui « mais en plus il est blanc Steevy« . Trop mignon mon bébé ❤

Alors déjà sachez que pas du tout, Wikipedia nous a confirmé qu’il était moitié Algérien, même si on est d’accord qu’il a un gros white passing (personnellement je l’avais toujours identifié comme non blanc). Le fait qu’il ait été à l’UMP et qu’il se définisse comme royaliste n’aide pas vous me direz…

Bref… on rit, on mange des gâteaux, on oublie le sujet jusqu’à ce que deux jours plus tard une amie me sorte ça via instagram:

Bingo. Ca faisait des années pourtant qu’on m’avait pas estampillé « boulay » sur le front ^^. Je pense qu’il va falloir que je le prévienne un jour ce Steevy… qu’il ne soit pas surpris si quelqu’un balance à Voici qu’on l’a surpris en train de sucer dans les toilettes de la Java (ce n’est pas encore arrivé).

Il y a deux jours, une amie encore m’envoie ça via FB:

Rien à voir avec Steevy, rien à voir avec moi, rien à voir avec la choucroute, mais je vous présente un énième sosie qui n’en est pas vraiment un de Ruru Pepito. Peu importe, dans la perception racisante des gens, ce mec et Steevy et moi on se ressemble. Evidemment je ne pense pas qu’il y ait de coïncidence sur ces questions là… Mais continuons car il y en a encore.

Pas plus tard que ce matin, je discute avec un mec plutôt mignon sur Grindr, très basic mais mignon, jusqu’au moment où il finit par me trigger avec l’un des nombreux trucs qui me rendent ouf, mais dont je vous avais pas encore parlé jusque là: le concept de « own race bias » ou « cross race effect ». Je vous illustre l’échange ci dessous et on en discute après:

Ce type de remarque a le don de m’exaspérer à un point que j’ignorais, car je n’avais pas encore pris connaissance du terme qui décrit le phénomène: le fameux « own race bias » ou biais intra racial en français ? je le dis avec un « ? » car je n’ai pas trouvé de traduction exacte dans mes lectures.

Le own race bias (ORB pour la suite) est ce phénomène qui fait qu’on a beaucoup plus de facilité à reconnaître des personnes de notre propre groupe racial, et qui conduit tout naturellement à la phrase très raciste « les X sont tous les mêmes ».

Souvenez vous de cette scène dans drag race S10 où Yuhua confond Monique Heart, avec The Vixen et avec Asia car elles sont toutes noires…. vous y êtes?

Vous pouvez remplacer X par noirs, chinois, indiens, arabes, latinos, etc etc etc.

Bizarrement… on ne l’entend JAMAIS pour les blancs. Coincidence? bien sur que non.

I. OWN RACE BIAS (ORB)

Des études ont mis en évidence que dès les premiers mois de naissance, les bébés préféraient porter leur attention, et pouvaient être beaucoup plus stimulés par des visages (ou des représentations schématiques proches de visages) que par des objets inanimés. Au bout d’un certain âge (entre 6 et 9 mois déjà), au fur et à mesure que les enfants développent leurs sens visuels, des chercheurs ont observé qu’ils commençaient aussi à développer une préférence pour des visages appartenant à leurs propres groupes raciaux et une meilleure capacité à les reconnaître.

Ainsi, des enfants qui évoluent dans un environnement composé exclusivement par un seul groupe racial (blanc ou noir pour ne citer que ça), développeraient dès la première année une très grande facilité à reconnaître et analyser des visages de leur propre groupe et une plus grande difficulté avec des groupes étrangers. Cela paraît plutôt logique. C’est ce qu’on appelle le ORB.

Les recherches sur ce qu’on appelle le ORB ont démarré dans les années 70 et ont montré que les personnes avaient 1.38 plus de chances d’identifier correctement une personne du même groupe racial, et 1.50 moins de chances de se tromper en identifiant quelqu’un de leur propre groupe.

A partir de là, il semble donc tout à fait compréhensible que des personnes qui ont évolué dans des environnement majoritairement blancs, ou noirs, aient plus de difficultés à reconnaître et donc à individualiser des personnes du groupe « opposé ».

Seulement dans les faits… cela ne se passe pas tout à fait comme ça.

all-asians-look-the-same — coucou le meme raciste

Prenez l’exemple de ce meme super raciste sur les femmes en corée du sud. Combien de « blagues » avez vous entendu sur les « asiat » ou sur les noirs qui laissent entendre qu’ils sont tous de la même famille, et combien de blagues similaires avez vous entendu avec le même postulat sur la race blanche dominante?

Personnellement j’ai grandi dans un environnement où clairement les personnes asiatiques n’étaient pas vraiment représentées. J’ai moi aussi ce biais racial depuis mon plus jeune âge. Et j’ai donc grandi avec ces fameuses « blagues » sur les chinois que je trouvais à l’époque légitimes. Mais jamais dans ma vie d’enfant ou d’adolescent ou d’adulte je n’ai été confronté à ce schéma visant les blancs.

La raison est que, même si nous évoluons dans nos groupes raciaux non blancs respectifs dès le plus jeune âge, nous sommes aussi tou.te.s exposé.e.s à la dominance blanche et à la surreprésentation de ce modèle partout. Si comme moi, vous avez aussi été élevé par la télé, vous savez de quoi je veux parler. Ainsi, même en faisant partie d’un groupe racial minoritaire, nous sommes tou.te.s entraîné.e.s à analyser, identifier et apprécier les visages des personnes blanches et à les considérer comme étant une norme. On n’y échappe pas ou très rarement.

L’inverse n’est pas vrai.

Les études menées depuis 40 ans montrent d’ailleurs que le groupe des personnes blanches est celui qui présente le plus de difficultés lors de l’identification de visages non blancs et non l’inverse… ce n’est pas un hasard si vous voulez mon avis.

D’autres études récentes ont montré par ailleurs, que dès le plus jeune âge, un biais racial apparaît. Comme je le disais précédemment, ce n’est pas seulement une facilité à reconnaître des visages de son propre groupe racial qui se crée mais également une « préférence ». Des tests ont notamment permis de mettre en évidence que les bébés à 9 mois, sont capables d’assimiler des choses positives avec des visages de leur propre groupe racial, et à l’inverse attribuer des choses plutôt négatives à des visages de groupes étrangers.

Par ailleurs, au moment où les bébés apprennent à reconnaitre et apprécier les visages de leurs groupes raciaux, ils apprennent en même temps à catégoriser et attribuer aux autres visages des caractéristiques racialisantes. Ils apprennent en gros à dire que des yeux bridés ça va avec une personne asiatique. Au fur et à mesure qu’ils grandissent et qu’ils commencent à apprendre des choses sur le monde, ces catégorisations vont venir se combiner avec des stéréotypes, et avec tout un tas de merdes qui sont véhiculées par le système. Ainsi les yeux bridés vont aller de pair avec un goût prononcé par les maths et une petite bite si t’es identifié mec. On aboutit donc à une façon de percevoir l’autre non plus comme un individu mais comme un représentant d’une catégorie.

Cette catégorisation qui se fait très tôt est assez effrayante dans le sens où on se rend compte que lors de l’analyse d’un visage, on aura tendance à rechercher des éléments correspondant à un groupe racial (type les yeux bridés) plus vite que des éléments individuels sociaux de type genre, âge, ou une simple expression du visage. La catégorisation se fait beaucoup plus vite que la personnification.

Et c’est là qu’on se rend compte que la socialisation et le racisme commencent dès le berceau avec toutes les conséquences que ça entraîne par la suite et qu’on connaît bien.

II. LES CONSEQUENCES DU ORB

Il nous est déjà arrivé à tou.te.s qu’on nous dise « j’ai vu machin.e qui te ressemble », ou qu’on se trompe sur le nom d’une célébrité parce qu’on l’a confondue avec une telle qui lui ressemblait énormément (genre moi et Steevy).

Jusque là il n’y a rien de choquant, c’est aussi normal de se tromper. Mais le but de cet article est de vous faire prendre conscience de la dimension raciale que ce genre d’erreurs ou maladresses possède et de s’interroger sur les ressorts qui font que ces erreurs arrivent.

Car au delà du côté comique que ça pourrait avoir :

Derrière il peut y avoir des conséquences réelles et terribles sur les personnes non blanches victimes du ORB.

Tout d’abord passons par la perte d’individualisation qui dérive directement de ce type de remarques et le côté systémique du truc. Ici je vous ai parlé de mon cas personnel en quelques exemples, mais je ne vous raconte pas le nombre de fois où on m’a interpellé parce qu’assigné au groupe des rebeus de france (racialisation) ou au nombre de fois où on m’a pris pour un vietnamien (si si je vous jure c’est arrivé) ou au nombre de fois où on m’a confondu avec un autre mec marron dans les lieux.

On perd toute notion d’individualité et on devient d’un coup un représentant d’une ethnie ou d’un groupe racial complet malgré nous. Avec évidemment touts les stéréotypes que ça implique.

C’est systémique et je suis prêt à parier que toutes les personnes non blanches en ont été victimes au moins une fois dans leur vies. Alors que je ne vois jamais qu’on aille dire à mes potes blancos « tiens t’es suédois toi? ». De même on entend jamais des blagues sur le fait que les white se ressemblent tous et toutes alors que bon…

Pour la question des préférences sexuelles/amoureuses, on voit bien que dès le plus jeune âge on est entraînés et influencés à trouver les visages blancs plus attirants. Donc en 2019 arrêtez de nous faire chier avec vos « les goûts ça se discute pas ». Vous êtes juste de gros sectaires ou fétichistes donc virez moi ces « préférences » racistes de vos profils pitié.

Enfin, et là on rentre sur des trucs plutôt chaud la patata, prenez le système judiciaire / pénal / carcéral où l’on sait très bien qu’il y a une surpopulation et une sur représentation de suspects et de condamnations sur des personnes non blanches. On ne va pas parler ici du système raciste qui crée ces inégalités, mais de l’impact direct de l’ORB sur les condamnations de personnes non blanches sous l’oeil avisé de témoins blancs. Car vous vous en doutez, après tout ce qu’on vient de dire, il ne vous paraîtra pas étonnant d’apprendre par exemple qu’aux USA (où l’on a accès à ce genre d’info facilement), en 2017, environ 350 personnes ont été innocentées de crimes pour lesquels certaines avaient déjà purgé une certaine peine, grâce à des analyses ADN, et que dans 70% de ces cas, l’erreur de jugement étaie due à une mauvaise identification par un témoin oculaire.

Quand on voit les chances de se tromper pour une personne n’appartenant à son groupe racial… ça fait vite froid dans le dos n’est ce pas?

III. UNE SIMPLE ERREUR

Encore une fois le but de cet article est de prendre conscience de ce phénomène qui se produit beaucoup plus souvent qu’on ne le pense, et que lorsque vous vous adressez à une personne racisée, le simple fait de la prendre pour quelqu’un d’autre peut se révéler être très inconfortable voire dangereux. Il ne peut plus s’agir d’une « simple erreur » en 2019 mais bien d’un processus de reconnaissance qui est enclenché dès le plus jeune et âge et qui, disons le, est profondément raciste. Prenez en conscience.

Les causes du ORB sont encore en cours d’étude, bien que les hypothèses pointent vers l’exposition aux autres groupes raciaux dès le plus jeune âge, d’autres facteurs peuvent influer sur l’ORB au cours de la vie d’une personne, l’âge, les capacités mémorielles, mais aussi les représentations raciales qu’on se fait (qu’elles soient bonnes ou mauvaises).

C’est ce qui fait notamment que moi en France, je peux passer pour tout et n’importe quoi car les représentations raciales des sud américains sont encore très floues… attendez que la diaspora Venezuelienne débarque et vous verrez comment vous arriverez mieux à nous reconnaître.

En attendant arrêtez de dire que vous m’avez croisé à la Dr Love car vous ne m’y verrez jamais ! Mais par contre Steevy ptet bien que oui.